Le niveau de 6ème est celui qui permet la comparaison la plus approfondie puisque, c’est l’exception, j’ai reçu tous les spécimens.
Sur les aspects financiers, je déplore que, malgré des encarts liminaires sur l’ « offre éditeur », la tarification soit aussi opaque. J’avoue ne pas avoir vraiment réfléchi à ce problème d’intendance jusqu’ici. Mais, compte tenu du très mauvais état de nos finances publiques et en l’absence de manuels sortant nettement du lot, il n’est pas inopportun de comparer les prix. A moins qu’il n’y ait un tarif unique pour tous les éditeurs? Si quelqu’un sait, ce serait gentil de me le dire !
Sur le programme, les rédacteurs ont eu la sagesse de supprimer les éléments d’histoire médiévale mais, à mon humble avis, ils se perdent aujourd’hui dans une évocation trop approfondie de la Préhistoire. Le chapitre sur le Néolithique a ainsi la même longueur que le cours sur l’histoire grecque qui, du coup, est expurgé des chapitres sur Alexandre et les royaumes hellénistiques, ainsi que de l’originale et optionnelle immersion dans la Grèce des savants. Le thème 2 « Récits fondateurs, croyances et citoyenneté dans la Méditerranée antique » propose trop d’axes disparates pour donner un sens d’ensemble. En Géographie, je note peu de bouleversements mais un ordre remanié. Le chapitre « La ville de demain » est assurément la grande innovation du programme mais beaucoup de manuels se perdent à mon sens dans des approches faiblement scientifiques. Il y a d’ailleurs régulièrement un contraste entre une leçon assez nuancée et des dossiers documentaires se réduisant à l’éloge de la technologie, sur fond de grandes rues-jardins peuplées de citoyens oscillant entre le jardinage et le vélo.
Passons au cas par cas.
– Le livre scolaire : Tout d’abord, je dois faire un gros mea culpa sur la place du numérique chez cet éditeur. J’avais signalé ne rien avoir trouvé comme exercices B2i dans le manuel de 5ème, alors que la lecture du sommaire indique pour presque chaque chapitre d’Histoire et de Géographie, une voire deux activités Web. L’absence de renvois explicites depuis les pages du livre m’a induite en erreur. Encore pardon ! Pour ce qui concerne la qualité de ces activités, je ne peux rien commenter mais elles existent. Dont acte. Sur les autres aspects maintenant. Cet éditeur, et c’est une tendance lourde, propose des chapitres attractifs, denses, vivants, avec des cours consistants et des exercices aussi variés que nombreux. Par ailleurs, le fameux parcours de compétences est très bien fléché. L’EMC est par contre toujours un ton en-dessous. En Géographie, il n’y a pas assez de croquis à faire à mon goût et le chapitre sur « La ville de demain » me paraît bien consensuel.
– Hachette : Parmi les points positifs du livre, sept pages d’immersion « Atelier de l’historien et de l’archéologue » et 6 pages « Atelier du géographe », un bilan de fin de cycle 3 pour la fin de l’année, le nombre d’exercices proposés par chapitre, le fléchage assez lisible des compétences, des exercices réguliers de croquis et l’inclusion de l’EMC directement dans les chapitres d’HG. Personnellement, j’apprécie cette dernière initiative, assez efficace au quotidien. Par contre, ce qui relève de l’histoire des Arts est un peu court, tout comme les exercices numériques (un par thème et non par chapitre). Le fameux chapitre sur « La ville de demain » offre des axes de lecture assez diversifiés mais je le trouve trop peu problématisé.
– Hatier : Le manuel est livré avec un cahier d’exercice et se targue lui-aussi de ressources numériques supplémentaires. Les chapitres sont bien faits et équilibrés entre exercices, leçons, dossiers traditionnels et double-pages plus innovantes. Je ne suis toujours pas convaincue par les bilans « je me mets dans la peau de », curieusement moins nombreux que dans le livre de 3ème, alors que le cycle 3 se prête davantage à ce genre d’exercice. Les dossiers consacrés à l’histoire des arts sont classiques et efficaces. Pour la Géographie, les mêmes qualités qu’en Histoire sont observables, avec en prime de réguliers exercices de croquis, une tradition de la maison. Le fameux chapitre de géographie prospective est un peu plus satisfaisant selon moi que les deux éditions précitées. Certes, les choix documentaires sont déséquilibrés mais la leçon présente des positions suffisamment nuancées pour ne pas tomber dans l’angélisme. L’EMC commence par des fiches de méthode bienvenues et le traitement des chapitres me paraît pertinent, grâce notamment à un choix de documents denses et percutants, ce qui est très rare en 6ème. Le professeur scrupuleux des programmes trouvera également des dilemmes moraux, ainsi qu’une bibliographie d’appoint bien utile pour aborder, par exemple, « En cours de SVT, un élève refuse de reconnaître que l’homme a évolué sur Terre […]. Peut-il contredire le professeur au nom de la liberté d’expression ? ». La réponse n’est pas formulée, ce serait trop simple…
– Nathan : 2ème livre de l’éditeur arrivé dans mon casier et 2ème bilan positif. Le livre présente des rappels en introduction sur les savoirs déjà acquis (théoriquement) par les élèves, des dossiers « d’hier à aujourd’hui » intéressants et deux questionnements différents par dossier (questions simples ou tâche complexe). Les chapitres sont correctement et très lisiblement adossés au socle de compétences et la méthodologie est disséminée dans le manuel. Chaque chapitre propose son « bilan de compétences » et un exercice avec Internet. De fréquents exercices de groupe sont proposés. J’apprécie la mise en valeur des différentes méthodes de mémorisation (visuelle, auditive, etc.) : voilà quelque chose qui, personnellement, me manquait. Le chapitre de prospective sur la ville de demain a été contourné de manière habile car il met en relief nos hésitations contemporaines entre le tout-voiture et les transports alternatifs, entre la ville dense et le rêve tenace du pavillon avec jardin. Je préfère nettement cela à l’imagination hors-sol de quelques prophètes urbanistes autoproclamés. Par contre, l’histoire des Arts n’est pas assez présente même s’il y a des incursions inattendues en Géographie (street art pour « Habiter une métropole » ou l’art des aborigènes pour « Habiter un espace de faible densité »). Sans être enthousiasmante, la partie EMC est très convenable. Pour les dossiers « parcours citoyens », il est dommage de ne les voir qu’en Géographie. Un sujet de débat m’a semblé particulièrement maladroit : « un sans-domicile fixe habite-t-il la ville ? ». Bon courage pour trouver les arguments du « non ». Une faute de goût qui ne doit pas occulter la bonne qualité d’ensemble.
– Bordas : C’est également le 2ème exemplaire reçu de cet éditeur qui, comme en 5ème , est imprimé au format paysage. J’ai eu l’occasion d’écrire combien cela pouvait être pratique pour les élèves mais, à la réflexion, je suis à peu près sûre que cela agacera très vite le professeur. Nos métiers nous obligent à être souvent debout, à écrire au tableau d’une main, tandis que l’autre maintient le livre en place. Avec ce type d’impression, le torticolis risque de devenir une maladie professionnelle… Au premier coup d’œil, les chapitres sur la Préhistoire sont moins nourris que ceux de la concurrence. Cela s’améliore ensuite mais ce n’est pas systématique. Les pages d’exercices sont, contrairement à ce que j’avais estimé pour la 5ème, dans la moyenne (et non au-dessus) : le format paysage et la taille de la police faussent ma perception. De même, certains dossiers offrent un questionnement plus court qu’ailleurs. Quelques dossiers « tâche complexe » innovent en invitant, par exemple, le jeune élève à se glisser dans la peau d’un orateur athénien chargé, par la puissance du verbe, d’empêcher une guerre entre les Grecs. Rien que ça ! Un autre dossier demande d’écrire l’épitaphe de Constantin, fraîchement converti au christianisme. Autant le dire, je suis plus que sceptique devant la prolifération de ces exercices d’ «imagination », moins cadrés que dans l’édition de 5ème. En Géographie, les dossiers vont un peu plus loin qu’en Histoire. La leçon du chapitre sur la ville de demain est conçue de manière adroite mais le dossier « J’imagine la ville du futur », outre ses photos de villes futuristes données sans aucun recul scientifique, présente des « témoignages » d’enfants tellement réécrits qu’ils en perdent toute crédibilité. A moins bien sûr que l’éditeur ait mis la main sur les seuls petits Français de 11 ans capables de citer spontanément, dans une même phrase, éoliennes, panneaux photovoltaïques, jardins biologique, jardin aromatique, et compostage ! En EMC, il n’y a pas de cours mais un stock de dossiers documentaires satisfaisants. Comme j’ai déjà pu l’écrire, je n’apprécie pas cette absence de formalisme sur la leçon en EMC. Donc à moins qu’il n’y ait plus aucun « sujet tendu » dans les classes de France et Navarre –et j’aurais raté quelque chose d’énorme, ce n’est pas raisonnable de livrer ainsi l’enseignant à lui-même.
– Magnard : Comme pour les autres niveaux, le Magnard privilégie des chapitres synthétiques avec des leçons millimétrées, une iconographie chatoyante et des dossiers relativement moins longs qu’ailleurs. Par ailleurs, les cartes mentales, aide-mémoires et petites vidéos explicatives créent une identité Magnard très repérable parmi les éditeurs. Quelques exercices B2i sont associés aux chapitres. Le chapitre de géographie prospective est traité de manière assez distancée, ce qui est vraiment un bon point pour moi. J’apprécie que l’étude de cas consacrée à l’aménagement de la ville de Lagos s’attarde sur le creusement inévitable des inégalités sociales. L’EMC est encore une fois bien traitée, avec des documents relativement copieux, un petit cours organisé et des exercices intéressants. Par contre, je me répète, le fléchage par compétences est trop sommaire selon moi.
– Belin : Le manuel de 6ème est le seul en provenant de cet éditeur qui soit arrivé jusqu’à mon casier. La présentation des compétences est claire et ordonnée. La partie consacrée à la Préhistoire m’a semblée particulièrement renseignée et efficace. J’apprécie également la présence d’une carte qui montre les autres civilisations ayant vécu à la même époque que celle étudiée. La statuaire en Histoire et la photographie en Géo est présentée de manière attrayante. Les études de cas en Géographie sont efficaces, malgré quelques dossiers un peu chiches (cf. Habiter une région montagneuse). L’élève a plusieurs occasions de s’entraîner au croquis. Les cours sont nourris et les exercices diversifiés, avec un entraînement B2i à chaque fois. L’histoire des Arts est traitée un peu rapidement (cf. dossier comparant une fresque avec une mosaïque). Le chapitre piège sur la ville de demain est assez long, ce qui est plutôt inhabituel et, s’il n’évite pas toujours les écueils observés dans d’autres éditions, la leçon proposée est satisfaisante. L’EMC est traité de manière conventionnelle en fin de livre mais il y a des leçons et des exercices d’application après les dossiers. Enfin, à la fin de chaque discipline, on trouve un bilan de compétences du cycle 3.